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Paris InfraWeek : résiliente, la classe d'actifs cherche à redéfinir les standards de demain

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Inflation, supply chain, financement, acceptabilité sociale, matières premières... La sixième édition de cet événement, organisée par Paris Europlace et le ministère de l'Économie, a été le terreau de nombreuses discussions sur la feuille de route à suivre pour répondre aux crises actuelles.

La sixième édition de l'InfraWeek réunissait près de de 200 intervenants au cours une cinquantaine de tables rondes. © Bilal Chennoune

La sixième édition de l'InfraWeek réunissait près de de 200 intervenants au cours une cinquantaine de tables rondes. © Bilal Chennoune

Une information CFNEWS INFRA

Nouvel automne, nouvelle Paris InfraWeek. Le rassemblement des acteurs de l'infrastructure, qui prend place pour la sixième année consécutive dans les allées du ministère de l'Économie et des Finances, et dont CFNEWS Infra est partenaire, était attendu dans un contexte de crise énergétique majeure. Si les précédentes éditions avaient consacré la résilience de la classe d'actifs, l'importance des télécoms et la nécessité de développer rapidement les énergies renouvelables, ce millésime portait en son sein les questionnements sur la feuille de route à suivre, dans un contexte géopolitique et énergétique complexe. Avec près de 200 intervenants et une cinquantaine de tables rondes organisées toute la semaine, les participants ont essayé d'apporter une réponse aux interrogations sur les défis liés à un environnement inflationniste, une supply chain perturbée, aux nouvelles conditions des financements, à l'attentisme ambiant sur les choix législatifs ou encore à l'acceptabilité sociale d'une transition énergétique parfois difficile à mettre en place. Tour d'horizon des discussions. 

Mon petit financement ne connaît pas la crise

Thierry Déau - Meridiam

Thierry Déau - Meridiam

Malgré un environnement changeant, les acteurs de l'infrastructure sont bien plus confiants que leurs confrères du private equity ou de l'immobilier. « Des risques nouveaux et anciens apparaissent, tels que l'impact de l'inflation sur les supply chains et l'augmentation des coûts de construction pour les projets greenfield, mais la quantité de liquidités et la qualité des actifs ne vont pas arrêter le marché de l'infrastructure. Cette classe d'actifs a très bien résisté à la récente crise », rappelle Olivier Jaunet, managing director Infrastructure au Crédit Agricole CIB. Sur le terrain, certains acteurs ont vu des prêteurs augmenter leurs marges à l'aune des pratiques du private equity, avant de se rétracter face à l'offre de la concurrence, restée stable. « Plus vous construirez du vert, plus vous aurez des financements, corrobore le dirigeant de Meridiam, Thierry Déau. C'est une tendance réelle, motivée par la réglementation de l'UE, qui vise à stimuler les financements grâce à la SFDR, à la taxonomie et aux KPI responsables. Ce qui change, c'est l'équation risque/récompense, car vous incluez désormais le risque social et environnemental, mais aussi leurs bénéfices financiers et extra-financiers. Les prêteurs sont aujourd'hui moins réfractaires au risque pour notre classe d'actifs, d'où la continuité des financements et des liquidités sur le marché. » 

Amir H. Jahanguiri, Willkie Farr & Gallagher

Amir H. Jahanguiri, Willkie Farr & Gallagher

Le segment de la dette infrastructure se porte d'ailleurs bien, confirment plusieurs acteurs, même si quelques tensions pourraient émerger sur le gearing (ratio equity/dette, ndlr) des projets, avec la nécessité d'amener plus d'equity et de s'intéresser à des dossiers de dette plus structurés, tels que les corporate PPA. « L'inflation et la hausse des taux d'intérêt ont un impact sur les projets greenfield », remarque tout de même Amir H. Jahanguiri, associé chez Willkie Farr & Gallagher, qui préconise de prendre en compte les critères d'approvisionnement et la hausse des prix des supply chains dans les financements. « Sur les PPP, le financement public est également mis à rude épreuve, avec une volonté de renégocier les contrats, continue l'avocat. Je pense que les investisseurs devront renoncer à une partie de leur TRI pour répondre aux besoins du secteur public en partageant le risque. » Le marché réagit déjà à ces évolutions avec notamment un allongement de la durée des prêts, donnant plus de marge de manœuvre aux acteurs de l'infrastructure qu'à ceux du capital-investissement. 

Attentisme technologique et législatif

Pierre Palmieri, Société Génerale

Pierre Palmieri, Société Génerale

Si les banques ont un rôle clé à jouer dans le soutien des besoins énergétiques à court terme, mais aussi « des besoins de liquidités et de couverture de nos clients et du financement de tous les projets d’infrastructure nécessaires pour soutenir la transition ESG à long terme », comme l'explique Pierre Palmieri, head of global banking and advisory à la Société Générale, reste à savoir quoi financer. La feuille de route reste encore imprécise pour beaucoup de lenders, qui souhaitent accompagner la transition énergétique mais attendent de voir quelles nouvelles technologies et marchés vont émerger. « Dans le financement de projets, nous aimons travailler avec des technologies éprouvées, nous voulons avoir une voie claire pour la génération de revenus et une feuille de route pour les projets », poursuit Olivier Jaunet, qui préconise un soutien public pour les investisseurs en fer de lance sur les secteurs non-matures tels que l'hydrogène, ainsi « qu'une incitation pour les prêteurs à soutenir ces nouveaux marchés et technologies ».

Patrick Tardivy, Orrick

Patrick Tardivy, Orrick

Cette opinion fait écho à celle de Patrick Tardivy, associé chez Orrick, pour qui la question est de savoir « si les énergies renouvelables existantes ont atteint une maturité suffisante pour se développer seules, ou s'il faut mettre en place un nouvel environnement, comme ce qui a été fait sur la fibre en France ». Si le marché se porte bien, l'attentisme est fort concernant la régulation, alors même que de nombreux gouvernements réfléchissent à taxer substantiellement les EnR, à l'image de la Norvège, qui a introduit une nouvelle taxe de 40 % sur les parcs éoliens terrestres, ainsi qu'une taxe de 23 % pour l'éolien et l'hydroélectricité sur les revenus supérieurs à 70 €/MWh estimés. « La régulation européenne est encore trop rigide sur certains sujets, tels que l'energy-from-waste, qui ne sont pas considérés comme conformes à la taxonomie, regrette Thierry Déau. C'est pourtant un marché intéressant, qui peut se construire rapidement et qui peut avoir un coup faible pour le chauffage des logements. »

Les infrastructures face à un nouveau contrat social ?

Thomas Rajzbaum, EQT Partners

Thomas Rajzbaum, EQT Partners

Beaucoup d'acteurs majeurs poussent d'ailleurs la finance à devancer le législateur. Thomas Rajzbaum, qui dirige l'équipe infra parisienne du suédois EQT Partners, juge que le private equity ne peut plus aujourd'hui se concentrer uniquement sur la performance financière et un simple reporting ESG. « Nous sommes trop en retard sur les objectifs de réduction des émissions de carbone », remarque l'investisseur, dont la société de gestion a mis en place, fin 2021, des objectifs scientifiques de réduction des gaz à effet de serre, englobant à la fois ses propres opérations et celles de ses investissements de portefeuille. « La licence légale pour construire et exploiter ne suffit pas, il faut aussi obtenir une licence sociale pour maximiser l'impact et la valeur créée par le projet », défend également Gwenola Chambon, fondatrice de Vauban Infrastructure Partners, lors de la présentation de son étude Social License to Operate, qui s'appuie sur une enquête menée auprès de 2 000 citoyens dans cinq pays de l'OCDE. « Un projet doit être réalisé de manière urgente et efficace, mais pas au détriment des considérations sociales. L'infrastructure ne peut être une réponse à la crise actuelle seulement en étant socialement inclusive. »

Gwénola Chambon, Vauban Infrastructure Partners.

Gwénola Chambon, Vauban Infrastructure Partners.

« Ces enjeux sont devenus beaucoup plus complexes avec le temps, atteste Pierre Palmieri. Il y a quinze ans, notre équipe dédiée était composée de trois personnes. Aujourd'hui, elle en compte plus de 70. » Le risque réputationnel comme le risque de crédit sont devenus bien plus attachés à ces aspects, tout comme le risque de vente ou de souscription - un dilemme d'autant plus fort au vu des évolutions récentes sur la législation en France. « Il faut préempter les impacts négatifs, ou cela vous reviendra dans la figure », juge le banquier. Un phénomène qu'Engie a notamment pu constater lors de la construction d'une centrale géothermique à Rueil-Malmaison : l'énergéticien a dû arrêter le chantier du site face à l'insatisfaction des habitants, du fait du bruit et des odeurs de sulfure, pour mettre en place une médiation. « Désormais, nous n'utilisons plus de générateurs pour fournir l'électricité de la construction, et la majorité des travaux se fait durant les vacances scolaires, témoigne Cécile Prévieu, directrice générale adjointe en charge des activités Energy Solution au sein du groupe hexagonal. Cela rallonge la durée du projet, mais il ne faut pas sous-estimer les réactions locales à un projet non présenté et qui chercherait à passer en force. » Pour quelques acteurs, les EnR pourraient profiter en France d'un système de zonage à l'allemande, alors que leur développement est déjà interdit sur 50 % du territoire et que les délais administratifs s'accumulent. 

Agenda express

 Valérie Vitter Mouradian, HSBC

 Valérie Vitter Mouradian, HSBC

De fait, les investissements nécessaires à la réussite de la transition énergétique, si voulus et demandés par les investisseurs et la société, s'opposent à un problème de temporalité entre la durée de construction et les objectifs à atteindre. Cela est particulièrement visible dans le secteur des transports, où tout un écosystème, des technologies au carburant en passant par la construction des infrastructures adaptées doit être mis en place d'ici la fin de la décennie. « La mobilité est essentielle dans la transition énergétique, confirme Valérie Vitter Mouradian, managing director chez HSBC. Les énergies renouvelables ont leurs limites, mais nous devons d'abord développer des technologies matures sur des sujets, tels que le stockage et l'efficacité énergétique. » L'hydrogène, particulièrement observé, doit par exemple voir sa production multipliée par 8 d'ici 2050, tout en nécessitant des investissements dans la construction, la modernisation et la transformation des infrastructures et besoins qui y sont liés. « Si nous examinons les critères de prise de décision, le plus important est l'engagement et les dépenses publiques. De notre point de vue, il faut que nous poussions nos clients à aller dans cette transition et il faut aussi pour cela investir dans toute la chaîne de valeur. Il y a beaucoup de liquidités disponibles, mais nous devons les diriger là où elles ont un sens d'un point de vue économique. »

Ramon Fernandez, Orange

Ramon Fernandez, Orange

Des secteurs déjà avancés en France ne sont pas non plus épargnés, à l'image des réseaux de fibre. Si l'Hexagone affiche une avancée majeure par rapport à ses voisins européens, le réseau national doit encore être amélioré pour se protéger des risques climatiques. « Quand on va aussi vite, tout ne peut pas être parfait, relate Ramon Fernandez, directeur général délégué Finance, Performance and Europe chez Orange. Aujourd'hui, plus de 50 % du réseau de fibre construit lors du plan Très Haut Débit est hors–sol et doit être enfoui » - un chantier estimé entre 8 et 10 Md€ , sans compter le brûlant sujet de la conservation de la qualité du réseau post-construction. Des assets plus traditionnels, notamment les autoroutes et les aéroports, font de leur côté face à un retrait accru des prêteurs, dont certains considèrent qu'ils commencent à sortir du scope de la transition environnementale. « Il faut que ça soit vraiment intégré dans la transition avec des add-ons pour que l'actif soit considéré comme vert ou en cours de transition. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il y a un risque de stranded asset, mais l'appétit est moindre », précise la gérante d'un fonds de dette. Un défi pour l'industrie lorsque que des compagnies, telles qu'EasyJet ne s'attendent pas à déployer un premier avion commercial à l'hydrogène avant 2030. 

Autonomie, GNL et minéraux

Laurent Néry, Engie

Laurent Néry, Engie

La guerre lancée par la Russie contre l'Ukraine a aussi accéléré la mise sur le devant de la scène les sujets d'autonomie énergétique et stratégique en Europe, déjà de plus en plus présents sur le marché depuis la pandémie. « Le marché européen du gaz a été jeté en plein chaos : il y a encore un an, le gaz russe représentait 40 % des volumes ! rappelle Laurent Néry, head of global market analysis chez Engie Global Markets. Nous avons réussi à traiter ces volumes manquants grâce au gaz naturel liquéfié (GNL), mais nous devons encore développer de nouveaux terminaux. » Pour Freeport LNG, le principal exportateur de gaz américain avec 4 % du marché mondial, la situation actuelle n'est que la conséquence d'un sous-investissement dans le secteur au cours de la dernière décennie, alors même que la demande était en hausse dans les pays émergents. « Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un changement structurel, car les demandes du marché et du politique ne sont pas aujourd'hui pas alignées avec la réalité du marché, notamment sur les prix, souligne Aaron Neus, responsable du marketing et de la stratégie du spécialiste. Un projet de GNL, c'est 8 à 10 milliards de capex ! Il va falloir ajuster les attentes sur les prix du GNL, cela ne sera pas aussi bon marché qu'on le dit avant plusieurs années. Cela arrivera à un moment donné, oui, mais je m'attends d'abord à ce que des contrats long terme soient mis en place à des prix bas, pour que le GNL se développe rapidement, avant qu'ils soient réajustés après la crise. »

Jean-François Gaillaud, ministère de l'Economie et des Finances

Jean-François Gaillaud, ministère de l'Economie et des Finances

Sujet parallèle mais tout aussi majeur, la dépendance de la transition énergétique à des matières premières géopolitiquement contestées et dont le prix flambe revient régulièrement dans les échanges. « Le prix du nickel a été multiplié par trois, celui du lithium par quatre… Sachant que le temps nécessaire à la construction d'une mine en Europe, dans les meilleures conditions, prend plus d'une dizaine d'années, sans compte l'acceptabilité sociale de ce type de projet, nous avons un défi majeur en face de nous », rapporte Jean-François Gaillaud, responsable du service des ressources minérales au ministère de l'Economie et des Finances, précisant que l'Etat français lance en ce moment des missions dans des géographies spécifiques, avec l'espoir de pouvoir initier des concessions dans les prochains mois, en fonction des résultats d'exploration. 

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